(free) i'm falling so i'm taking my time on my ride

Le soleil est encore bas dans le ciel d’Ohana. La mer, lointaine, est un bijou qu’il ne se lasse de contempler. Mais sa tête fatiguée a autre chose en tête. Il doit aller à l’hôtel, encore. Pour y travailler, encore. Une situation qu’il n’avale toujours pas l’hawaiien. Il a l’impression de vendre son âme au diable, une sensation toujours plus douloureuse alors que chaque matin son réveil sonne pour lui rappeler sa triste trahison. Un réveil qu’il n’avait encore jamais utilisé jusqu’à maintenant. Sa vie douce était devenu un cirque dont le show ne changeait guère. Le trajet du matin, la pause du déjeuner, et la soirée à vérifier que les employés du bar du Turtle Bay Resort ne piquent pas les bouteilles et ne renversent aucun whisky sur un wannabe millionnaire aux dents longues. Un stupide boulot pour un tout aussi stupide argent. Endetté et épuisé, voilà ce qu’il est. Le soleil en lui est mort, il n’y a plus que morosité et lassitude. Même l’espoir s’est fait la malle. Il est là, le regard vide, le pouce levé, à attendre que quelqu’un veuille bien le prendre en stop. Parce que oui, Keawe n’a pas de voiture. C’est au gré des autres qu’il se déplace, une obligation devenue choix. Mais si des années durant le tour a fonctionné, l’homme étant populaire au sein de la communauté d’Ohana, plus rien n’est désormais pareil. La veste de costume dans le sac, la cravate mal nouée, il essaye de faire bonne figure. Quelques voitures passent, mais ne s’arrêtent pas. Il reconnait des visages qui lui lancent un regard noir avant de disparaitre dans la nature. Bien fait pour lui. Ce sont les dieux qui se vengent de la trahison qu’il a faite à la terre sacrée de ses ancêtres. Il attend un moment là, Keawe, à espérer. Mais le coin n’est pas bien peuplé et rares sont les véhicules qui passent. Toujours décevant. Et puis d’un coup, il la voit. La bagnole ralentie alors qu’elle arrive à sa hauteur et Keawe ressert l’emprise de sa main sur l’hanse de son sac. Il en a besoin, de ce boulot. Tout comme il a besoin de ressentir autre chose que l’immense solitude dans laquelle il est depuis quelques semaines. Depuis qu’il est passé dans le camp opposé. Il ne soutient pas plus l’hôtel en y travaillant, et pourtant voilà que son procès est scellé avant même qu’il ne puisse parler. Tant pis. Un jour, peut-être, le comprendra-t-on. En attendant, on s’arrête enfin, et la porte s’ouvre. C’est un sourire qui vient accueillir le véhicule alors que Keawe monte sans attendre. Merci, j’ai cru que je n’y arriverai jamais. J’ai besoin d’aller au… Il s’arrête, pas bien sur de savoir ce qu’il doit dire. À l’ouest de l’île. Finit-il par dire, penaud à l’idée de parler de l’hôtel. Il n’aura qu’à faire le reste à pied.